"On n'aperçoit pas du tout les mêmes choses, en effet, selon qu'on élargit sa vision à l'horizon, qui s'étend, immense et immobile, au-delà de nous; ou selon qu'on sollicite son regard sur l'image qui passe, minuscule et mouvante, toute proche de nous dans la nuit. L'image est bien comme une luciole, une petite lueur, la lucciola des intermittences passagères."
Non-savoir de la passante
04.06.2009
Aperçues
Georges Didi-Huberman
« Esquisser une voie, portraits d’itinérances »
Ces photographies sont la mise en récit d’un voyage, un peu différent de cette notion qu’est le voyage. Mettre en parallèle la réalité de la crise pandémique que nous venons de traverser et ce travail, est un témoignage de ce que nous avons perdu.
Début 2017, la réalité me faisait prendre conscience de la précarité humaine. S’observer comme un corps en mouvement, se retourner sur son existence, et regarder dans l’ombre la mouvance de l’image réfléchie est une expérience visuelle troublante. Confrontée à de longs déplacements en métro le regard que je portais sur les surfaces réfléchissantes, s’est ouvert à l’observation des visages et des corps qui m’entouraient. Le désir de fixer ces réflexions a permis le surgissement de ces images. Le dispositif est contemplatif. L’image photographique reçoit les reflets de ces visages entrevus.
Ce travail s’inscrit dans la continuité des protocoles « Diptyques » et « Itinérances métropolitaines ». Poursuivre ainsi ces itinérances métropolitaines s’est décollé de la réalité du paysage, s’est décentré. J’observe ici un autre paysage. Je regarde dans le cadre des fenêtres les mouvements du monde, ce miroir est éphémère, je tente d’en saisir des traces. Les images peuvent intégrer le dedans, le dehors, et former des rêves.
La durée des voyages dans les réseaux souterrains permettait cette expérience. En me laissant aller à l’observation de la diversité du paysage humain, je peux ressentir les quartiers. J’ai commencé à construire cette série de portraits. Les reflets de ces visages, lueurs et éclats d’histoire des corps, expriment les diversités de notre métropole. Avec la photographie j’éprouve autrement la densité de ces figures de passage. Au cœur des complexes urbains, portraits et espaces correspondent, se regardent et se mélangent.
Deux années ont extériorisé ce que je traversais. En revenant à l’histoire des surfaces qui font miroir, représentation et hommage, le reflet dévoile le corps qui est hors champ. Ces visages aux allures d’hologramme, leur transparence avec la diffraction de la lumière, subliment la présence du vivant. Dans l’entre-deux du diptyque, l’imaginaire donne à voir de l’espace et du temps, mais aussi le contexte dans lequel il s’inscrit : une traversée du tunnel entre l’intériorité et l’extériorité. L’observation et l’enregistrement de ces lueurs minuscules résonnent étrangement avec l’impact cette crise sanitaire. Le glissement du réel a dépassé la réalité qui était la mienne. Je ne pouvais imaginer cela.
Marie Combes, 3 juin 2021
Extrait de 55 œuvres de la série «Esquisser une voie, portraits d’itinérances»